dimanche 26 novembre 2017

Quel Royauté ?

Bourdichon 
Longtemps, la plupart des chrétiens ont confondu le règne du Christ, le Royaume dont parlent les évangiles, avec l'extension planétaire du christianisme. Soumission de tous les hommes à l'emprise de la religion. Cela passait par la religion d'État, les pouvoirs civils n'étant que le « bras séculier » de l'autorité ecclésiastique. L'Histoire nous a obligés à revoir cela et à nous demander ce que pouvait bien signifier le thème de la Royauté universelle du Christ. On s'est alors souvenu que Jésus avait dit à Pilate que sa royauté n'était pas de ce monde, qu'il avait refusé de régler les questions d'héritage et prescrit de rendre à César ce qui était à César. On en est venu à penser que la royauté du Christ s'exerce sur les consciences : ceux qui croient en lui adoptent la Loi d'amour qu'il est venu proposer au monde. Jésus répète que personne ne peut venir à lui s'il n'est attiré par le Père. Toujours à Pilate, il dit: «Quiconque est de la vérité écoute ma voix.» C'est l'attraction, l'attrait, de ce qui nous fait vraiment hommes qui fonde le pouvoir du Christ sur nous : l'appel à être qui vient de la création. C'est par un choix libre que chacun le place au-dessus de tout. Fort bien! Mais la foi religieuse peut-elle se réduire à la sphère du privé pris au sens d'individuel? Parce que la Loi du Royaume est l'amour, cela dépasse la conscience individuelle pour passer dans le domaine de la relation, où nous rencontrons le social, l'économique, le politique.
Sur qui s'exerce ce pouvoir ?
Paul répète que le Christ s'est élevé au-dessus de toute «puissance, domination, principautés». On le sait, il désigne par ces termes non seulement les pouvoirs humains mais aussi les puissances astrales, les «armées célestes», c'est-à-dire les lois de la nature. Tout ce qui pèse sur notre liberté et l'entrave. La Royauté du Christ, la soumission à la vérité sont libération. «La vérité vous rendra libres.» Et la vérité, l'homme totalement vrai et parachevé, c'est lui. Il prend le pouvoir sur «tout ce qui nous est contraire». Non que ces « contraires » et contraintes disparaissent de nos vies mais, comme la Croix représentative de tout mal, ils sont asservis à produire leur contraire : la liberté et la vie. Le «monde» nous en veut d'étaler aux yeux de tous cette vérité que l'on préfère ne pas voir. Les disciples du Christ, quand ils le suivent vraiment, sont intolérables à tous ceux qui ont le culte de la puissance, de l'excellence, de l'argent, de la domination. D'une certaine façon, nous sommes la mauvaise conscience du monde dans ses pratiques perverses. Comment ne pas haïr ceux qui prétendent que le plus grand est celui qui sert, que le roi prend la place de l'esclave ; et que c'est par cet abaissement qu'il devient «le Seigneur» (Philippiens 2,5-11)? Tel est le roi que nous célébrons aujourd'hui. Les maîtres de ce monde doivent lui être soumis, c'est-à-dire exercer leur fonction comme un service. Sinon ils ne sont rien.
Où trouver le Roi ?
Il faudrait parler du roi berger, ce chef du troupeau qui est au service de la vie de ses brebis. Du roi juge, pour dire qu'en réalité c'est nous qui nous jugeons et déjugeons quand nous rompons le lien de l'amour. Il faudrait aussi parler du temps de l'instauration du Royaume, pour souligner qu'il n'est ni dans un temps ni dans un espace particuliers mais qu'il les surplombe et les pénètre à travers ceux qui l'accueillent ici et maintenant : «Le Royaume de Dieu est parmi vous» ou «au milieu de vous». Dès que quelque part un être humain se met d'une façon ou d'une autre au service de ses frères, donc dès qu'il se laisse gouverner par l'amour, le Royaume est là. Même s'il n'a pas reçu le Baptême, même s'il n'a jamais entendu parler du Christ, il est enfant de Dieu, fils du Roi. C'est bien ce que nous dit l'évangile du jour: quand tout ce qui est caché viendra au grand jour, ces hommes et ces femmes découvriront dans l'émerveillement d'une joie indicible qu'ils s'étaient mis au service de celui par lequel existe tout ce qui existe. Quant à nous qui avons reçu l'Évangile, nous sommes le peuple des témoins de cette grandiose œuvre de Dieu. Ayant lu ou entendu Matthieu 25, nous savons, nous, que le plus grand prend le visage du plus petit, et même du plus minable. Tous nos frères, même «les publicains et les pécheurs», sont épiphanie, révélation, du visage de Dieu. Effigie royale.
Père Marcel Domergue, sj


L’attendons-nous ?



[...]   Nous savons que le Christ doit revenir. Mais l’attendons-nous ? Ou, mieux, qu’attendons-nous de Lui ? Qu’il résolve nos problèmes, arrange nos petits et grands tracas ?
Il est vrai que l’attente d’un hypothétique retour du Christ, sans cesse remis à plus tard, s’est essoufflée, au point qu’il nous arrive peut-être de douter qu’Il revienne jamais… Mais peut-être nous trompons-nous quant à son retour. C’est justement ce que nous apprend la parabole de ce dimanche : le Christ ne cesse de venir, il ne cesse de venir jusqu’à nous, certes de manière incognito, mais pourtant tout à fait reconnaissable puisqu’il vient à nous sous la figure de l’homme et de la femme en détresse. Et il nous indique que la juste manière, non seulement de l’attendre, mais aussi de le rencontrer, consiste à faire miséricorde à ceux qui ont en besoin.

C’est ainsi que la parabole nous détourne de l’attente vaine d’un messie ou d’un sauveur ; le Christ est venu il y a deux mille ans pour nous apprendre qu’il ne cesse de venir en s’identifiant à celles et ceux qui manquent de nourriture, d’attention et d’amour. Il est de coutume de dire que le Christ reviendra à la fin des temps ; mais cette conception est naïve et, pour tout dire, assez fausse… Le Christ est précisément venu pour changer la qualité du temps, pour transformer notre attente en présence à l’autre qui souffre. Le temps du Christ, c’est le temps offert pour nous rendre attentifs à nos frères et soeurs. Ne perd son temps que celui qui le gaspille tout en se préoccupant uniquement de lui-même. Certes, ce temps nouveau de la gratuité échappe à nos logiques marchandes, économiques, à la fatalité du « time is money » ; la rentabilité qui est maintenant exigée de tous n’a rien à voir avec la fécondité du temps ouvert à la rencontre. L’évangile se moque de la rentabilité ; il demande : toute cette fatigue… pour quoi ? Pour quoi faire ? Pour être qui ?

Ce que je n’ai pas le temps de faire, c’est souvent une occasion manquée, doublement faut-il préciser : on perd et le frère et Celui qui s’identifie avec lui : le Christ.

Il est temps, si j’ose dire, de remettre les pendules à l’heure !

La parabole de ce dimanche est à entendre comme le testament du Christ : il nous dit quoi faire pour être contemporains de sa venue maintenant. Il nous ne demande pas de l’attendre mais de le recevoir dans la personne de celui qui souffre. Ou, s’il convient de désirer la venue du Christ, son attente n’est pas autre chose que notre vigilance à le rencontrer tous les jours, lorsque nous acceptons de fendre la cuirasse de notre égoïsme. Il faut donc le dire avec force : il n’y a pas d’autre venue du Christ à espérer que celle-là, quotidienne, en quelque sorte ordinaire…

Cela signifie encore qu’il faille nous méfier de ce que nous appelons la spiritualité. On entend dire qu’il a un retour du spirituel. Soit, mais qu’est-ce qu’une spiritualité qui confinerait au repliement sur soi ? Alors que tout l’évangile nous enjoint à prendre soin de l’autre… Ceux qui disent : « Quand t’avons-nous vu malade, en prison… ? » n’étaient pas des êtres durs, mais des personnes pieuses et vertueuses qui pensaient que Dieu s’identifie avec ceux qui font ce qui est juste alors que le Christ nous révèle que Dieu s’identifie à ceux qui ont besoin de miséricorde…

Je termine alors par une autre histoire qui nous a été transmise par un saint belge, et oui, ça existe !, le bienheureux Jean Ruysbroeck l’Admirable : « Quand tu serais en extase au 7e ciel, si un malade te demande une tasse de bouillon, descends vite du 7e ciel et donne-le lui. Car le Dieu que tu trouves dans le malade est plus sûr que le Dieu que tu viens de quitter dans la prière. »


Alors, aujourd’hui, c’est le Christ qui nous demande : qu’attendez-vous pour me rencontrer ?
Fr. Dominique Collin
Homélie de la messe du 26 novembre 2017 à Malèves-Sainte-Marie

jeudi 16 novembre 2017

Sagesse 7 22 et s...



Il y a dans la Sagesse un esprit intelligent et saint, unique et multiple, subtil et rapide; pénétrant, net, clair et intact; ami du bien, vif, irrésistible, bienfaisant, ami des hommes; ferme, sûr et paisible, tout-puissant et observant tout, traversant tous les esprits, même les plus intelligents, les plus purs, les plus subtils.

La Sagesse, en effet, peut se mouvoir d’un mouvement qui surpasse tous les autres, elle pénètre et traverse toute chose à cause de sa pureté. Car elle est la respiration de la puissance de Dieu, le rayonnement limpide de la gloire du Maître souverain; aussi, rien de souillé ne peut l’atteindre. Elle est le reflet de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu, l’image de sa bonté. Comme elle est unique, elle peut tout; et sans sortir d’elle-même, elle renouvelle l’univers. De génération en génération, elle se transmet à des âmes saintes, pour en faire des prophètes et des amis de Dieu. 

 Sagesse 7 22 et suivants

dimanche 12 novembre 2017

Les dix vierges...

Nous méditons en ce dimanche sur la parabole des dix vierges. Jésus propose ce récit afin de nous faire percevoir la réalité du Royaume des cieux présent au milieu de nous. Voyons ce qu’il nous enseigne.
Tout d’abord, il est dit que les dix vierges prennent leur lampe mais seulement cinq d’entre elles emportent aussi de l’huile en réserve. Pour être porteur de lumière au jour de la venue du Messie, il est donc nécessaire d’avoir une lampe et de l’huile en quantité suffisante. Porter haut cette lumière dans notre société, c’est, bien sûr, répondre à l’invitation que nous fait le Seigneur : « Vous êtes la lumière du monde (…) Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5,14-15). L’image que prend Jésus dans cette parabole nous révèle la profondeur du mystère du don de Dieu. La lampe est donnée sans mérite aux vierges. Elle représente la grâce que le Seigneur accorde gratuitement le jour de notre baptême. Nous ne la méritons pas, mais le Seigneur nous la donne. L’huile, c’est la réponse que nous apportons librement à ce don de Dieu. Le Seigneur a sauvé tous les hommes sur la Croix, mais faut-il encore que les hommes accueillent ce salut. Accueillir le Salut, c’est préparer notre huile. Ce qui est premier c’est donc la lampe, c’est-à-dire la grâce que Dieu nous fait. Et ce don est fait à tous, aux vierges folles comme aux vierges sages. Mais pour briller, nous devons aussi répondre à cet appel, nous investir, c’est à dire apporter notre huile.
Il est dit ensuite que l’époux arrive au milieu de la nuit : « Un cri se fait entendre : ‘Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre » (Mt 25,6). Toutes les vierges, les sages comme les folles, se sont endormies. La venue du Christ a lieu alors que plus personne ne l’attend. Jésus dira par ailleurs : « Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir votre Maître » (Mt 24,42). Cette parabole résonne donc comme un appel à la vigilance. Ce qui est plus surprenant, c’est de voir les vierges sages s’endormir aussi. Ne devraient-elles pas demeurer éveillées dans l’attente de l’époux ? Cette particularité de la parabole nous montre que tous les hommes ont besoin de la Miséricorde de Dieu. Nul n’est parfait. Ce qui est important, c’est de donner notre bonne volonté au Seigneur, tout comme les vierges sages ont pris de l’huile en réserve. Le reste appartient à l’Amour Miséricordieux de Jésus.
Enfin, vient peut-être le passage le plus étonnant de ce récit. Les vierges sages refusent de partager leur huile. Comment comprendre cela ? Tout simplement par le fait que nous ne pouvons répondre à la place des autres. Nous pouvons bien sûr prier et intercéder pour eux, mais nous ne pouvons pas choisir à leur place. C’est aussi une dure réalité de notre vie. Combien nous aimerions que tous nos proches, nos amis découvrent l’Amour de Dieu. Mais chacun est libre de sa réponse. Il nous revient juste d’être témoins de cette folie de Dieu pour les hommes.
En ce jour, nous sommes appelés à prendre de nouveau conscience du don que Dieu nous fait en nous donnant une lampe. Nous sommes aussi appelés à renouveler notre oui à Jésus afin que nous ayons toujours de l’huile en réserve pour le jour où nous le rencontrerons.  
Père Pascal Montavit

jeudi 2 novembre 2017

Toussaint !

Fra Angelico, détail du jugement...
Pourquoi notre louange à l'égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n'ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c'est pour nous que cela importe, non pour eux. [...] Pour ma part, je l'avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir [...]

Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d'être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d'être mêlés à l'assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs, au choeur des vierges, bref d'être associés à la joie et à la communion de tous les saints. [...] Cette Eglise des premiers-nés nous attend, et nous n'en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n'en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !
     
Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d'en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu'ils comptent sur nous, acourrons avec nos désirs spirituels. {...] Ce qu'il nous faut souhaiter, ce n'est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu'en désirant leur présence, nous ayons l'ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l'ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n'a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. [...]
     
Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque-là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu'il s'est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés [...] Il serait honteux que, sous cette tête couronnée d'épines, un membre choisisse une vie facile, car toute la pourpre qui le couvre doit être encore non pas tant celle de l'honneur que celle de la dérision. [...] Viendra le jour de l'avènement du Christ : alors on n'annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elle les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d'humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c'est lui la Tête.
     
Cette gloire, il nous faut la convoiter d'une absolue et ferme ambition. [...] Et vraiment, pour qu'il nous soit permis de l'espérer, et d'aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher de tout coeur l'aide et la prière des saints : ce qui est au-dessus de nos forces puisse-t-il nous être donné par leur intercession !
St Bernard