mardi 12 décembre 2017

St Macaire le Grand : par la prière, veiller dans l’attente de Dieu...

Il ne faut pour prier ni gestes, ni cris, ni silence, ni agenouillements. Notre prière, à la fois sage et fervente, doit être attente de Dieu, jusqu’à ce que Dieu vienne et visite notre âme par toutes ses voies d’accès, tous ses sentiers, tous ses sens. Trêve de nos silences, de nos gémissements et de nos sanglots : ne cherchons dans la prière que l’étreinte de Dieu.
 Dans le travail, n’employons-nous pas tout notre corps à l’effort ? Tous nos membres n’y collaborent-ils pas ? Que notre âme elle aussi se consacre tout entière à sa prière et à l’amour du Seigneur ; qu’elle ne se laisse pas distraire ni tirailler par ses pensées ; qu’elle se fasse pleine attente du Christ. Alors le Christ l’illuminera, il lui enseignera la prière véritable, il lui donnera la supplique pure et spirituelle qui est selon Dieu, l’adoration « en esprit et en vérité » (Jn 4,24).
 Celui qui exerce un commerce ne cherche pas simplement à réaliser un gain. Il s’efforce aussi par tous les moyens de le grossir et de l’accroître. Il entreprend de nouveaux voyages et renonce à ceux qui lui semblent sans profit ; il ne part qu’avec l’espérance d’une affaire. Comme lui, sachons conduire notre âme sur les voies les plus diverses et les plus opportunes, et nous acquerrons, ô gain suprême et véritable, ce Dieu qui nous apprend à prier dans la vérité.
 Le Seigneur se pose dans une âme fervente, il en fait son trône de gloire, il s’y assied et y demeure.
Saint Macaire le Grand (IVe siècle)

Homélies spirituelles, n° 33

dimanche 3 décembre 2017

Avent 2017

Il y avait là un jeune Anglais catholique qui m'a donné pour la première fois l'idée d'une vertu surnaturelle des sacrements, par l'éclat véritablement angélique dont il paraissait avoir été revêtu après avoir communié. Le hasard -car j'aime toujours mieux dire hasard que Providence- a fait de lui, pour moi, vraiment un messager. Car il m'a fait connaître l'existence de ces poètes anglais du XVIIème siècle qu'on nomme métaphysiques. Plus tard en les lisant, j'y ai découvert le poème dont je vous ai lu une traduction malheureusement bien insuffisante, celui qui est intitulé Amour (*). Je l'ai appris par cœur. Souvent, au moment culminant des crises violentes de maux de tête, je me suis exercée à le réciter en y appliquant toute mon attention et en adhérant de toute mon âme à la tendresse qu'il renferme. Je croyais le réciter seulement comme un beau poème, mais à mon insu cette récitation avait la vertu d'une prière.
C'est au cours d'une de ces récitations que, comme je vous l'ai écrit, le Christ lui-même est descendu et m'a prise.

Voici le texte de ce poème dans une traduction qu'on a bien voulu me faire :


                                                                                                                              Simone Weil, "Attente de Dieu"

* AMOUR

L'Amour m'accueillit ; pourtant mon âme recula
Coupable de poussière et de péché.
Mais l'Amour clairvoyant, me voyant hésiter
Dès ma première entrée,
Se rapprocha, demandant doucement
S'il me manquait quelque chose.

"Un invité, répondis-je, digne d'être ici."
L'Amour dit  : "Tu seras lui."
Moi, le méchant, l'ingrat  ? Ah mon aimé
L'Amour prit ma main et répondit en souriant :
"Qui a fait ces yeux, sinon moi ?

— C'est vrai Seigneur, mais je les ai souillés ; que ma honte aille où elle mérite.
— Et ne sais-tu pas, dit l'Amour, qui a pris sur lui le blâme ?
— Mon aimé, alors je servirai.
— Il faut t'asseoir, dit l'Amour, et goûter à mes mets. "
Ainsi je m'assis et je mangeai.



dimanche 26 novembre 2017

Quel Royauté ?

Bourdichon 
Longtemps, la plupart des chrétiens ont confondu le règne du Christ, le Royaume dont parlent les évangiles, avec l'extension planétaire du christianisme. Soumission de tous les hommes à l'emprise de la religion. Cela passait par la religion d'État, les pouvoirs civils n'étant que le « bras séculier » de l'autorité ecclésiastique. L'Histoire nous a obligés à revoir cela et à nous demander ce que pouvait bien signifier le thème de la Royauté universelle du Christ. On s'est alors souvenu que Jésus avait dit à Pilate que sa royauté n'était pas de ce monde, qu'il avait refusé de régler les questions d'héritage et prescrit de rendre à César ce qui était à César. On en est venu à penser que la royauté du Christ s'exerce sur les consciences : ceux qui croient en lui adoptent la Loi d'amour qu'il est venu proposer au monde. Jésus répète que personne ne peut venir à lui s'il n'est attiré par le Père. Toujours à Pilate, il dit: «Quiconque est de la vérité écoute ma voix.» C'est l'attraction, l'attrait, de ce qui nous fait vraiment hommes qui fonde le pouvoir du Christ sur nous : l'appel à être qui vient de la création. C'est par un choix libre que chacun le place au-dessus de tout. Fort bien! Mais la foi religieuse peut-elle se réduire à la sphère du privé pris au sens d'individuel? Parce que la Loi du Royaume est l'amour, cela dépasse la conscience individuelle pour passer dans le domaine de la relation, où nous rencontrons le social, l'économique, le politique.
Sur qui s'exerce ce pouvoir ?
Paul répète que le Christ s'est élevé au-dessus de toute «puissance, domination, principautés». On le sait, il désigne par ces termes non seulement les pouvoirs humains mais aussi les puissances astrales, les «armées célestes», c'est-à-dire les lois de la nature. Tout ce qui pèse sur notre liberté et l'entrave. La Royauté du Christ, la soumission à la vérité sont libération. «La vérité vous rendra libres.» Et la vérité, l'homme totalement vrai et parachevé, c'est lui. Il prend le pouvoir sur «tout ce qui nous est contraire». Non que ces « contraires » et contraintes disparaissent de nos vies mais, comme la Croix représentative de tout mal, ils sont asservis à produire leur contraire : la liberté et la vie. Le «monde» nous en veut d'étaler aux yeux de tous cette vérité que l'on préfère ne pas voir. Les disciples du Christ, quand ils le suivent vraiment, sont intolérables à tous ceux qui ont le culte de la puissance, de l'excellence, de l'argent, de la domination. D'une certaine façon, nous sommes la mauvaise conscience du monde dans ses pratiques perverses. Comment ne pas haïr ceux qui prétendent que le plus grand est celui qui sert, que le roi prend la place de l'esclave ; et que c'est par cet abaissement qu'il devient «le Seigneur» (Philippiens 2,5-11)? Tel est le roi que nous célébrons aujourd'hui. Les maîtres de ce monde doivent lui être soumis, c'est-à-dire exercer leur fonction comme un service. Sinon ils ne sont rien.
Où trouver le Roi ?
Il faudrait parler du roi berger, ce chef du troupeau qui est au service de la vie de ses brebis. Du roi juge, pour dire qu'en réalité c'est nous qui nous jugeons et déjugeons quand nous rompons le lien de l'amour. Il faudrait aussi parler du temps de l'instauration du Royaume, pour souligner qu'il n'est ni dans un temps ni dans un espace particuliers mais qu'il les surplombe et les pénètre à travers ceux qui l'accueillent ici et maintenant : «Le Royaume de Dieu est parmi vous» ou «au milieu de vous». Dès que quelque part un être humain se met d'une façon ou d'une autre au service de ses frères, donc dès qu'il se laisse gouverner par l'amour, le Royaume est là. Même s'il n'a pas reçu le Baptême, même s'il n'a jamais entendu parler du Christ, il est enfant de Dieu, fils du Roi. C'est bien ce que nous dit l'évangile du jour: quand tout ce qui est caché viendra au grand jour, ces hommes et ces femmes découvriront dans l'émerveillement d'une joie indicible qu'ils s'étaient mis au service de celui par lequel existe tout ce qui existe. Quant à nous qui avons reçu l'Évangile, nous sommes le peuple des témoins de cette grandiose œuvre de Dieu. Ayant lu ou entendu Matthieu 25, nous savons, nous, que le plus grand prend le visage du plus petit, et même du plus minable. Tous nos frères, même «les publicains et les pécheurs», sont épiphanie, révélation, du visage de Dieu. Effigie royale.
Père Marcel Domergue, sj


L’attendons-nous ?



[...]   Nous savons que le Christ doit revenir. Mais l’attendons-nous ? Ou, mieux, qu’attendons-nous de Lui ? Qu’il résolve nos problèmes, arrange nos petits et grands tracas ?
Il est vrai que l’attente d’un hypothétique retour du Christ, sans cesse remis à plus tard, s’est essoufflée, au point qu’il nous arrive peut-être de douter qu’Il revienne jamais… Mais peut-être nous trompons-nous quant à son retour. C’est justement ce que nous apprend la parabole de ce dimanche : le Christ ne cesse de venir, il ne cesse de venir jusqu’à nous, certes de manière incognito, mais pourtant tout à fait reconnaissable puisqu’il vient à nous sous la figure de l’homme et de la femme en détresse. Et il nous indique que la juste manière, non seulement de l’attendre, mais aussi de le rencontrer, consiste à faire miséricorde à ceux qui ont en besoin.

C’est ainsi que la parabole nous détourne de l’attente vaine d’un messie ou d’un sauveur ; le Christ est venu il y a deux mille ans pour nous apprendre qu’il ne cesse de venir en s’identifiant à celles et ceux qui manquent de nourriture, d’attention et d’amour. Il est de coutume de dire que le Christ reviendra à la fin des temps ; mais cette conception est naïve et, pour tout dire, assez fausse… Le Christ est précisément venu pour changer la qualité du temps, pour transformer notre attente en présence à l’autre qui souffre. Le temps du Christ, c’est le temps offert pour nous rendre attentifs à nos frères et soeurs. Ne perd son temps que celui qui le gaspille tout en se préoccupant uniquement de lui-même. Certes, ce temps nouveau de la gratuité échappe à nos logiques marchandes, économiques, à la fatalité du « time is money » ; la rentabilité qui est maintenant exigée de tous n’a rien à voir avec la fécondité du temps ouvert à la rencontre. L’évangile se moque de la rentabilité ; il demande : toute cette fatigue… pour quoi ? Pour quoi faire ? Pour être qui ?

Ce que je n’ai pas le temps de faire, c’est souvent une occasion manquée, doublement faut-il préciser : on perd et le frère et Celui qui s’identifie avec lui : le Christ.

Il est temps, si j’ose dire, de remettre les pendules à l’heure !

La parabole de ce dimanche est à entendre comme le testament du Christ : il nous dit quoi faire pour être contemporains de sa venue maintenant. Il nous ne demande pas de l’attendre mais de le recevoir dans la personne de celui qui souffre. Ou, s’il convient de désirer la venue du Christ, son attente n’est pas autre chose que notre vigilance à le rencontrer tous les jours, lorsque nous acceptons de fendre la cuirasse de notre égoïsme. Il faut donc le dire avec force : il n’y a pas d’autre venue du Christ à espérer que celle-là, quotidienne, en quelque sorte ordinaire…

Cela signifie encore qu’il faille nous méfier de ce que nous appelons la spiritualité. On entend dire qu’il a un retour du spirituel. Soit, mais qu’est-ce qu’une spiritualité qui confinerait au repliement sur soi ? Alors que tout l’évangile nous enjoint à prendre soin de l’autre… Ceux qui disent : « Quand t’avons-nous vu malade, en prison… ? » n’étaient pas des êtres durs, mais des personnes pieuses et vertueuses qui pensaient que Dieu s’identifie avec ceux qui font ce qui est juste alors que le Christ nous révèle que Dieu s’identifie à ceux qui ont besoin de miséricorde…

Je termine alors par une autre histoire qui nous a été transmise par un saint belge, et oui, ça existe !, le bienheureux Jean Ruysbroeck l’Admirable : « Quand tu serais en extase au 7e ciel, si un malade te demande une tasse de bouillon, descends vite du 7e ciel et donne-le lui. Car le Dieu que tu trouves dans le malade est plus sûr que le Dieu que tu viens de quitter dans la prière. »


Alors, aujourd’hui, c’est le Christ qui nous demande : qu’attendez-vous pour me rencontrer ?
Fr. Dominique Collin
Homélie de la messe du 26 novembre 2017 à Malèves-Sainte-Marie