lundi 18 juillet 2016

Une femme couronnée d'étoiles





      Une femme couronnée d'étoiles. La douceur de Marie dans la femme de l'Apocalypse. La douleur de Marie. Douleur d'enfantement. Douleur devant la Croix du Bien-Aimé. Douceur de Marie devant les hommes, douleur par les hommes.

      Je ne sais pas pour quoi j'écris. Peut-être pour rien, parce que les mots s'appellent l'un l'autre, se puisent au silence quand la réflexion s'abîme dans la pure nuit, celle qui est inondée d'indicible lumière. Pure lumière.
Je vois cette pureté-là, lumière et nuit  une, ce lieu où tout se tait, où la pensée se perd et se trouve tout ensemble, hors d'elle-même. Silence inaltérable et sublime. Au delà, la tendresse de son sourire. La pureté de ses larmes. Les deux ensembles.

Marie, toute pure, prie pour nous, pécheurs.


      Il n'y a pas d'images. Il y a son visage penché et ses larmes claires. Il y a ce geste si tendre, cette main tendue vers nous, ce sourire, cet appel comme un soupir. Il y a la plainte de notre douce Mère. Il n'y a pas d'images dans mon cœur, mais ces larmes et ce sourire sont et demeurent.
Notre Dame de la Salette, notre Dame de Livron, notre Dame du Bel Amour...

      Les mots éclosent comme des fleurs pâles. Ils se marient et s'effacent, ils peignent devant moi la beauté de Marie, et l'infinie souffrance d'une mère pour ses enfants. Pour son Fils. Toute adorante, toute offerte, toute transparente, toute rayonnante.
On imagine souvent une gloire de Dieu tonitruante. Mais sa gloire au profond du silence, l'éclat vertigineux de la douceur de Marie... nulle ombre n'y subsiste, nulle obscurité n'y trouve refuge, et elle, pourtant, accueille toute humanité comme elle a accueilli l'Esprit...  nul combat en Marie si pure, inaliénable douceur offerte à son Seigneur, celle de l'enfance, l'innocence fragile et veloutée d'un nouveau-né.
Nul combat en Marie. Le sourire et les larmes ensemble, la ténèbre qui se dissout, disparaît en elle comme brouillard au matin. C'est le soleil de justice, le grand feu de l'amour qui arde et s'apaise en elle, qui s'offre en elle à notre humanité et s'y révèle sans bruit. 

Marie Porte du Ciel, prie pour nous, pécheurs.


      Bernadette n'a pas reconnu le visage de la Dame de Massabielle dans cette grande statue qui se voulait fidèle.
Marie que je ne vois pas mais qui est, par l'amour de Dieu, ne faudrait-il pas la contempler au travers de la transparence de l'eau, de l'air frais au matin, des larmes qui perlent comme rosée à la joue d'une enfance qu'elle met au monde chaque jour ?
Elle que je ne vois pas mais qui est, par la grâce de Dieu, ne s'offre-t-elle pas comme un lieu de rencontre, toute oublieuse d'elle-même, toute Mère ? 
Il le savait, le Bien-Aimé en Croix, qu'il nous offrait sa mère non seulement pour qu'elle nous prenne par la main et nous conduise à lui, mais bien pour qu'elle nous accueille et nous fasse renaître, non pas d'elle telle qu'en elle-même, mais d'elle telle qu'elle est dans la gloire de Dieu, tant donnée que la Sainte Trinité peut transparaître et, par sa maternité, nous recréer d'eau et d'Esprit.

Marie comblée de grâce, mère de l'Eglise, prie pour nous, pécheurs.


      Il n'y a plus devant moi, autour de moi, que la douceur des larmes de Marie, la douleur de son sourire, cette attente qu'elle a de nous, non pas pour elle, mais pour Lui, le Tout Autre, le Tout Proche, en Croix. Elle qui est toute entière habitée de la splendeur de la Résurrection, elle qui pleure l'enfantement du monde, elle nous présente à chaque instant l'amour de son Fils crucifié en nous et par nous sans remords...
Mystère de Marie. Mystère d'une Femme, couronnée d'étoiles, qui souffre dans les douleurs de l'enfantement.

Marie de la rencontre, Notre Dame des Béatitudes, prie pour nous pécheurs.


      La claire nuit s'est refermée sur la pureté transparente de ma Mère. Elle m'a fait cadeau de ses larmes. Je pensais plus tôt à ce grand combat qui se joue bien au delà du monde et qui pourtant menace de le submerger. Nul combat en Marie. Juste la Croix pleine, simple, tellement simple dans la lumière de la Résurrection, juste les Béatitudes offertes toutes entières, avec la souffrance et la joie une.

Marie, Mère de Dieu, prie pour nous pécheurs. 


       Marie, ma Mère, tu m'as dévoilé ce soir les larmes de Dieu. Qui d'autre que toi peut nous les révéler, qui d'autre qu'une femme toute entière femme.

Marie, ma mère, prie pour moi pécheur... 

M.Felix, "Les nuits de feu"

Vocation, Thomas Merton

 Photo Dominique Cansier


         L'attrait pour un certain genre de vie et l'aptitude à la mener ne suffisent pas à établir la certitude de la vocation. Parfois, l'attrait, qui peut jouer dans de nombreux cas un rôle important, n'est pas toujours évident. L'on peut être appelé à la prêtrise tout en ayant une répugnance sensible pour certains aspects de cette vocation. Le désir d'entrer à la Trappe n'exclut pas nécessairement un certain recul devant l'austérité de la vie cistercienne.

La seule chose qui décide réellement d'une vocation est l'aptitude à rendre la résolution ferme d'embrasser un certain état de vie, et à agir d'après cette décision. Quelqu'un qui ne peut jamais se décider, jamais se résoudre fermement à faire ce qu'il faut pour vivre une vocation, n'a sans doute pas la vocation religieuse. Elle peut lui avoir été offerte : mais qui est capable d'en être certain ? Qu'il résiste ou non à la grâce, il semble en fait n'avoir jamais été "appelé". Au contraire, une  décision calme et bien arrêtée que les obstacles ni l'opposition n'arrêtent, est un bon signe que Dieu a donné la grâce de répondre à son appel, et qu'on y a correspondu. 

[......]

        Au lieu de parler théoriquement de cette vocation, regardons plutôt sa parfaire incarnation dans l'un de ses plus grands saints : saint François d'Assise. Les stigmates de saint François furent le signe divin qu'il était, de tous les saints, le plus semblable au Christ. Il avait réussi, mieux qu'aucun autre, à reproduire dans sa vie la simplicité, la pauvreté et l'amour de Dieu et des hommes qui marquèrent la vie de Jésus. En outre, ce fut un Apôtre qui incarna parfaitement l'esprit et le message évangéliques. Connaître saint François, c'est comprendre l'Evangile et le suivre dans son esprit sincère et pur; c'est vivre l'Evangile dans toute sa plénitude. Sa sainteté géniale lui permit de communiquer au monde les enseignements du Christ non sous tel ou tel aspect, en des fragments commentés et analysés par la pensée, mais dans l'intégrité de sa simplicité existentielle. Saint François était ce que doivent être tous les saints : un "autre Christ".

Sa vie ne reproduisit pas seulement tel ou tel mystère de la vie du Christ, il ne se contenta pas de revivre les humbles vertus de la divine Enfance et de la vie cachée à Nazareth, d'être tenté dans le désert avec le Christ ou aussi las que lui dans ses voyages apostoliques. Il ne fit pas simplement, comme Jésus, des miracles. Il ne fut pas seulement crucifié avec Lui. Tous ces mystères étaient unis dans la vie de saint François et, ensemble ou séparément, nous les y retrouvons tous. Le Christ ressuscité revécut parfaitement dans ce saint qui fut complétement possédé et transformé par l'Esprit d'amour divin...


Thomas Merton, "Nul n'est une île"

mardi 12 juillet 2016

Qui est mon prochain ?



      
        « Tu aimeras Dieu de toutes tes forces et ton prochain comme toi-même. » Aujourd’hui, nous est rappelé l’essentiel, l’essentiel de notre foi et de notre vie. « Aime ton prochain. » Mais qui est mon prochain ? Il y a le prochain qu’on voit et celui qu’on ne voit pas, ou qu’on ne veut pas voir. Il y a celui qui est naturellement proche, parce qu’on partage les mêmes goûts, les mêmes idées. Il y a celui qu’on rencontre tous les jours, mais qu’on ignore. Et il y a celui que l’on rejette, parce que quelque chose nous oppose.

        Qui est donc mon prochain ? Il n’est pas celui qui me ressemble, mais celui que Dieu me donne à aimer. Voilà un homme attaqué sur la route. Un inconnu. Il est là, à moitié mort. Il est là comme un appel silencieux. Un appel à tout homme de bonne volonté qui pourrait le secourir. Et voilà successivement deux hommes, deux religieux. Mais ils passent leur chemin. Pourquoi ? Ils pensent avoir de bonnes raisons, au nom de leur religion. Et voilà un Samaritain, ennemi juré des deux premiers. Lui est touché par ce blessé. On nous dit qu’il est « saisi de compassion ». On aurait pu traduire : « pris aux tripes ». Lui va s’approcher du blessé, va prendre soin de cet homme. Lui ne calcule rien et donne ce qu’il faut pour que cet homme soit pris en charge. Nous comprenons bien tout cela. Mais l’enjeu c’est de le mettre en pratique. « Fais cela et tu vivras », dit Jésus au docteur de la Loi qui l’interroge.

         Nous pouvons aussi comprendre cette page d’Évangile à un autre niveau. En Jésus, c’est Dieu lui-même qui s’est fait notre prochain. Il s’est approché de nous jusqu’à se faire l’un de nous. Nous voyons dans l’Évangile combien Jésus prend soin de tous ceux qui sont blessés dans leur corps ou dans leur cœur. Et il se donnera tout entier, sur la croix. L’humanité blessée par le mal, par la violence, par le péché, par la mort, c’est encore la nôtre. Jésus est seulement passé au milieu de nous, mais il nous a confiés à l’aubergiste, qui est son Église. Il l’a chargée de prendre soin de l’humanité. Elle ne le fait pas toujours bien, mais c’est sa mission.

        Aujourd’hui, dans la chapelle de l’ancien couvent Saint-Gildard, nous commémorons l’arrivée au noviciat d’une jeune fille qui a voulu, à la suite de Jésus, se donner tout entière par amour de Dieu et du prochain. La petite Bernadette Soubirous, Dieu s’est approché d’elle, par Marie. À Lourdes, Marie s’est faite petite comme Bernadette, a parlé le patois de Bernadette, pour en faire la messagère de l’amour de Dieu. Et Bernadette a été touchée. Touchée par l’amour de Dieu pour elle. Et elle a voulu se donner à cet amour. Alors, elle est entrée dans cette congrégation qui a pour devise l’amour, et cet amour a été le moteur de sa vie : « Je ne vivrai pas un instant que je ne le passe en aimant. » Elle l’a dit ; et elle l’a fait. Auprès des malades, à Lourdes puis à Nevers, et dans une union de plus en plus forte à Jésus, dans sa propre maladie et dans sa mort.

        Frères et sœurs, la grande loi de notre vie est l’amour. La grande loi de notre Dieu est l’amour. Cette loi est dans nos cœurs, comme le disait la première lecture. « Elle est près de toi cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur pour que tu la mettes en pratique. »Cette Parole a aussi un visage, le visage d’un prochain connu ou inconnu qui nous dit : « Regarde-moi, écoute-moi, prends soin de moi. » En cette année de la miséricorde, saurons-nous nous approcher de ce prochain ?
Mgr Thierry Brac de Perrière
Homélie du 10 juillet 2016, sanctuaire sainte Bernadette, à Nevers,