dimanche 2 avril 2017

Carême : Le respect...

Rembrandt
Jamais homme n'a respecté les autres comme cet homme.



Pour lui, l'autre est toujours plus et mieux que ce à quoi les idées reçues, même des sages et des docteurs de la Loi, tendent à le réduire.

Il voit toujours en celui ou celle qu'il rencontre un lieu d'espérance, une promesse vivante, un extraordinaire possible, un être appelé, par delà ses limites, ses péchés, et parfois ses crimes, à un avenir tout neuf.

Il lui arrive même d'y discerner quelque merveille secrète dont la contemplation le plonge dans l'action de grâce !

Il ne dit pas : "Cette femme est volage, légère, sotte, elle est marquée par l'atavisme moral et religieux de son milieu, ce n'est qu'une femme". Il lui demande un verre d'eau et il engage la conversation.

Il ne dit pas : "Voilà une pécheresse publique, une prostituée à tout jamais enlise dans son vice". Il dit: "Elle a plus de chance pour le Royaume des Cieux que ceux qui tiennent à leurs richesses ou se drapent dans leurs vertus et leur savoir".

Il ne dit pas : "Celle-ci n'est qu'une adultère". Il dit : "Je ne te condamne pas. Va et ne pèche plus".

Il ne dit pas : "Cette vieille qui met son obole ans le tronc sur les œuvres du Temple est une superstitieuse". Il dit qu'elle est extraordinaire et qu'on ferait bien d'imiter son désintéressement.

Il ne dit pas : "Ces enfants ne sont que des gosses". Il dit : "Laissez-les venir à moi, et tâchez de leur ressembler".

Il ne dit pas : "Cet homme n'est qu'un fonctionnaire véreux qui s'enrichit en flattant le pouvoir et en saignant les pauvres". Il s'invite à sa table et assure que sa maison a reçu le salut.

Il ne dit pas, comme son entourage : "Cet aveugle paie sûrement ses fautes ou celles de ses ancêtres". Il dit que l'on se trompe à son sujet et il stupéfie en montrant avec éclat combien cet homme jouit de la faveur de Dieu : "Il faut que l'action de Dieu soit manifestée en lui".

Il ne dit pas : "Le centurion n'est qu'un occupant". Il dit : "Je n'ai jamais vu pareille foi en Israël".

Il ne dit pas : "Ce savant n'est qu'un intellectuel". Il lui ouvre la voie vers la renaissance spirituelle.

Il ne dit pas : "Cet individu est un hors-la-loi". Il lui dit : "Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis".

Il ne dit pas : "Ce Judas ne sera jamais qu'un traître". Il accepte son baiser et lui dit : "Mon ami".

Jésus n'a jamais dit : "Il n'y a rien de bon dans celui-ci, dans celle-là, dans ce milieu-ci…". De nos jours, il n'aurait jamais dit : "Ce n'est qu'un intégriste, un moderniste, un gauchiste, un fasciste, un mécréant, un bigot". Pour lui, les autres, quels qu'ils soient, quels que soient leur statut, leur réputation, sont toujours des êtres aimés de Dieu. Jamais homme n'a respecté les autres comme cet homme. Il est unique. Il est le Fils unique, de celui qui fait briller le soleil sur les bons et sur les méchants.

Seigneur Jésus, fils de Dieu, aie pitié de nous, pécheurs !

Mgr Albert Decourtray

Rembrant

dimanche 26 mars 2017

Carême : méditation sur la prière...

Dieu a dit par le prophète : «Ceci est mon repos : faites reposer ceux qui sont accablés (Is. 28, 12)».
Fais donc le repos de Dieu, ô homme, et tu n'auras pas besoin du «pardonne-moi». Fais reposer les accablés, visite les malades, occupe-toi des pauvres, et cela est prière. Et je t'assure. mon ami, chaque fois qu'un homme fait ainsi le repos de Dieu, cela est prière. 
[...]
Sois donc attentif, mon ami : s'il se présente à toi quelque chose d'agréable à Dieu ne dis pas : «C'est le temps de la prière. Je vais prier, et je ferai cela après». En attendant que tu aies fait la prière, la chose qui aurait fait plaisir à Dieu t'aura échappé. Tu auras ainsi perdu l'occasion de faire la volonté et le bon plaisir de Dieu. Par ta prière, tu auras commis un péché. Fais ce qui plais à Dieu. C'est cela prier. Ecoute la parole de l'Apôtre : «Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés». (1Cor. 11, 31)

Juge toi-même ce que je vais te dire. Si tu pars pour un long voyage, et qu'à cause de la grande chaleur il t'arrive d'avoir soif, si tu rencontres alors un frère et que tu lui dises : «Soulage-moi de la soif qui m'accable», et qu'alors il te réponde : «C'est l'heure de la prière. Je vais prier, et ensuite je me rendrai chez toi», en attendant qu'il ait pitié et revienne à toi, tu mourras de soif.
Que t'en semble ? Qu'y a-t-il de meilleur pour toi, qu'il aille prier, ou qu'il apaise ton tourment ?
Quelle utilité aura la prière de celui qui ne soulage pas la souffrance du prochain ? Le Seigneur n'a-t-il pas déclaré que nous serions jugés sur nos oeuvres ?
[...] 
Ce que je t'ai écrit : «Quand on fait la volonté de Dieu, cela est prière», cela me semble beau.
Mais parce que je te l'ai dit, ne va pas te relâcher de la prière, et ne cède pas à l'ennui - selon qu'il est écrit que Notre-Seigneur a dit : «Priez et ne vous lassez pas». Applique-toi à la veille, chasse de toi la somnolence et la pesanteur. Sois en éveil jour et nuit. et ne te laisse pas aller au découragement.

Aphraat le Persan, "Une nuée de témoins"

dimanche 19 mars 2017

Carême : la nostalgie de Dieu


Mon âme languit après le Seigneur, et je Le cherche avec des larmes.

Comment pourrais-je ne pas Te chercher ? Toi le premier, Tu m'as trouvé. Tu m'as donné de vivre la douceur de ton Saint-Esprit, et mon âme T'a aimé.

Tu vois, Seigneur, ma peine et mes larmes... Si Tu ne m'avais pas attiré par ton amour, je ne Te chercherais pas, comme Je Te cherche. Mais ton Esprit m'a donné de Te connaître, et mon âme se réjouit que, Toi, Tu sois mon Dieu et mon Seigneur, et, jusqu'aux larmes, je languis après Toi.

Mon âme languit après Dieu, et elle Le cherche avec des larmes.
Seigneur miséricordieux, Tu vois ma chute et ma douleur ; mais, humblement, j'implore ta clémence : répands sur le pécheur que je suis la grâce de ton Saint-Esprit, Son souvenir porte mon esprit à trouver de nouveau ta miséricorde.
Seigneur, donne-moi ton humble Esprit pour que je ne perde pas à nouveau ta grâce, et que je ne me lamente pas comme Adam qui pleurait Dieu et le Paradis perdu.

Saint Silouane de l'Athos

dimanche 12 mars 2017

Carême : le désert


"...Moi, je t'ai connu au désert, dans un pays de fièvre" (Osée 13.5)

Un jour trois ascètes décident de prendre une option différente :

- Le premier choisit de faire la paix parmi ceux qui se battent,

- Le deuxième se met à visiter les malades,
- Le troisième gagne le désert.

Peu de temps après, le premier, n’arrivant pas à ses fins, vient, découragé, trouver le deuxième qui lui aussi, est à bout.
Tous deux décident alors de se rendre auprès de celui qui avait opté pour l’hésychia au désert. Ils sont étonnés de sa réussite et l’assaillent de questions. Ce dernier commence par se taire puis il prend un vase, le remplit d’eau. « Regardez cette eau, leur dit-il, elle est trouble. » Puis, après un bon bout de temps, il leur dit encore : « voyez maintenant cette même eau et comment elle s’est reposée. » Et là, comme dans un miroir, ils virent distinctement leur visage. Et il leur dit : « Il en est ainsi pareillement de nous : lorsque nous vivons au milieu des hommes, nous ne voyons pas nos défauts, alors qu’il en est tout autrement dans le désert. »

En ce temps de Carême, le récit que nous venons de lire nous expose d’une façon magistrale le secret qui nous conduira au grand mystère de Pâques.
« Pour voir notre péché, nous précise-t-il, il nous faut faire l’expérience du désert… » Tout comme Jean-Baptiste (Mc 1, 14), tout comme Jésus lui-même (Mc 1, 12), nous ne pouvons rendre gloire à Dieu si nous ne nous mettons pas à l’écart (Mc 6, 1), afin de nous reposer, dans le but de mieux nous affronter dans notre propre face-à-face. Autrement dit, sans l’hésychia, nous ne pouvons pas nous connaître véritablement. Le désert et l’hésychia, deux données incontournables pour toute pratique orthodoxe de l’ascèse.
Le mot « hésychia » peut se traduire de plusieurs façons. Tout d’abord, il signifie le calme, le repos qui apaise nos mœurs troublées et nos passion,s par l’acquisition du silence intérieur, lequel nous éloigne de nos soucis du passé et de nos vaines distractions. Ensuite, il veut dire tranquillité, laquelle fait fi de nos mauvaises pensées et de nos stériles bavardages, afin de nous rendre disponibles à la véritable contemplation. Enfin, c’est aussi la capacité d’atteindre cet état de paix, qui éloigne de nous tous les bruits nuisibles à nos âmes.
« Lorsque nous vivons au milieu des hommes, nous ne voyons pas nos défauts… » Il nous faut donc par moments, bien garder nos distances pour avoir accès à notre monde intérieur et pour entrer aussi en communion avec les autres.
Le merveilleux de l’homme ne peut se saisir que dans le silence et le repos du cœur et non dans le brouhaha des foules anonymes. Nous n’entrons réellement en contact avec notre être total tout comme d’ailleurs avec celui des autres que lorsque « nous faisons en nous hésychia .» Et ce, bien plus encore, quand il est question de notre relation personnelle avec Dieu. C’est à cette seule condition qu’il nous sera possible d’user avec le Seigneur du langage des Béatitudes, en dehors de toute pression, de toute contrainte. Et lui, du même coup, deviendra notre ami et notre familier, nous confortant de la sorte dans notre intime conviction que nous sommes vraiment ses enfants.

N’ayons donc pas peur de partir avec obstination à la recherche de ce lieu désert que nous désigne le carême. Autrement dit (dans notre foyer, sur le lieu de notre travail, au détour d’un moment de détente…), prenons encore la peine de faire suffisamment halte dans cette oasis spirituelle que nous suggèrent le jeûne et la prière pour nous enivrer à satiété de la douce présence de Dieu.
Notre Eglise qualifie le Grand Carême qui précède Pâques de « printemps de l’âme. » Puisse-t-il en être ainsi. Alors, à l’instar de la femme de l’Apocalypse, le Seigneur se fera une joie de nous préparer, au sortir de notre expérience quadragésimale du désert, une « place où nous serons nourris mille deux cent soixante jours » (Ap, 12, 6). De sorte que, pour paraphraser Evagre le Pontique, «quoique séparés de tout nous soyons unis enfin à tout ; à la fois impassibles et d’une sensibilité souveraine ; déifiés tout en nous estimant le rebut du monde et par-dessus tout heureux, divinement heureux !»
Métropolite Stephanos de Tallinn